Preuves illicites acceptées par les prud’hommes !

Philippe DONNART

videosurveillance


Peut-on se demander s’il est envisageable de filmer en secret un salarié ou un employeur, pour ensuite utiliser cette preuve illégale et déloyale lors d’un litige porté devant le tribunal des prud’hommes ? Cette pratique soulève des questions éthiques et juridiques importantes, notamment en ce qui concerne la protection de la vie privée et la légalité des preuves obtenues de manière clandestine.

La nouvelle jurisprudence sur les preuves illicites aux prud’hommes

En cas de litige entre un employé et son employeur, il est maintenant possible de présenter des preuves obtenues de manière illicite ou déloyale. Les conseils des prud’hommes ne les excluent plus automatiquement. Sarah Lemoine nous apporte des éclaircissements.

Sarah Lemoine explique qu’auparavant, lorsqu’un conflit opposait un salarié et un employeur devant les prud’hommes, que ce soit pour un licenciement ou des faits de harcèlement, le juge écartait systématiquement les preuves obtenues de manière illicite ou déloyale, comme, par exemple, une conversation enregistrée secrètement sur un smartphone.

Cependant, depuis le 22 décembre 2023, la situation a évolué. Désormais, la Cour de cassation admet que les preuves déloyales ou illicites, déjà recevables au pénal, le sont également au civil, donc devant les Prud’hommes, mais sous certaines conditions strictes.

Quels sont les garde-fous ?

En présence d’une preuve déloyale, le juge doit déterminer si elle est absolument nécessaire, c’est-à-dire s’il n’existe aucun autre moyen de prouver les faits incriminés. Par exemple, un document écrit ou un témoin direct. Si c’est le cas, alors la preuve déloyale ne sera pas retenue.

Le juge doit également évaluer si l’atteinte à la personne mise en cause, en particulier à sa vie privée, est proportionnée par rapport à l’objectif poursuivi, comme l’explique Me François Hubert du cabinet Voltaire Avocats.

La vidéosurveillance illicite est-elle concernée ?

Le 14 février dernier, la Cour de cassation a confirmé cette logique. Dans une affaire impliquant une employée de pharmacie licenciée pour vol, filmée en flagrant délit par la vidéosurveillance de l’entreprise.

L’employée contestait son licenciement, arguant que l’employeur n’avait pas informé les salariés ou les représentants du personnel de la présence des caméras, ce qui est illégal. La Cour de cassation a jugé cette preuve recevable, estimant que l’employeur n’avait pas d’autre moyen de prouver le vol de l’employée.

Une ère de suspicion généralisée ?

Avec cette nouvelle jurisprudence, certains craignent une complication des relations entre salariés et employeurs, ainsi qu’un trouble dans le milieu du travail. L’avocate Diane Buisson du cabinet Redlink estime qu’il existe peu de solutions juridiques pour se protéger d’un enregistrement clandestin, comme l’utilisation d’un brouilleur d’ondes étant passible de peine de prison.

Me François Hubert se demande également si d’autres preuves déloyales seront admises à l’avenir devant les prud’hommes, telles que la filature pour surveiller un salarié en arrêt maladie soupçonné de travailler pour un autre employeur. La question de la limite de l’usage des preuves illicites reste donc ouverte.