Jean-Marc Moriceau, un historien qui s’est lancé dans une vaste enquête sur la relation tumultueuse entre l’homme et le loup, est désormais partisan d’un partage strict du territoire entre ces deux espèces. Son enquête fouillée a mis en lumière les nombreux conflits violents qui existaient autrefois entre l’homme et le loup. Au fil des siècles, ces deux prédateurs se sont livrés une lutte sans merci pour la domination du territoire. Cependant, Moriceau estime aujourd’hui qu’il est temps d’adopter une approche plus équilibrée. Selon lui, il est essentiel de mettre en place des mesures strictes de cohabitation, afin de préserver à la fois la sécurité de l’homme et la préservation de la nature.
Cette proposition marque un tournant dans la pensée de Moriceau, qui était auparavant en faveur de l’éradication des loups. Il a réalisé que cette approche radicale était inefficace et néfaste pour l’écosystème. Ainsi, il se positionne désormais en faveur d’un partage du territoire basé sur le respect mutuel et l’acceptation des différences entre l’homme et le loup. Moriceau défend une vision plus harmonieuse de la coexistence entre les deux espèces, où chacune peut trouver sa place dans l’écosystème sans mettre en danger l’autre. Cette évolution de sa pensée a été saluée par de nombreux experts en conservation de la nature, qui voient en cette approche un pas important vers une meilleure relation entre l’homme et la nature sauvage. Cependant, certains critiques remettent en question la faisabilité de cette proposition, soulignant les défis pratiques liés à la mise en place de mesures de cohabitation efficaces. Malgré ces réserves, Moriceau continue de plaider en faveur de son idée, convaincu que seule une coexistence équilibrée entre l’homme et le loup pourra garantir la préservation de ces deux espèces et de leur habitat commun.
Le plan loup dévoilé par le gouvernement suscite déjà une forte opposition. Les passion et les idéologies entourant cet animal sont-elles trop présentes ? Face à un sujet complexe et des intérêts contradictoires, il est normal que les oppositions soient vives. Bien que ce plan vise à corriger les erreurs passées, la cohabitation reste difficile étant donné que le retour du loup repose sur un mensonge. En effet, en 1993, l’État a trompé les éleveurs en affirmant que les attaques étaient le résultat de chiens. Sous la pression de certains écologistes, il a été demandé de ne rien dire.
Aujourd’hui, parvenir à un compromis semble très difficile mais pas impossible, à condition de réviser le statut du loup en Europe. Contrairement à ce que l’on pense souvent, la cohabitation avec l’homme n’est pas non plus idyllique dans d’autres pays européens, n’est-ce pas ? Croire que tout se passe bien ailleurs en Europe est un préjugé propagé de manière partisane. En Catalogne et en Italie, les choses ont mal tourné lorsque les loups ont quitté les Abruzzes pour se diriger vers le nord. En Lombardie et au Piémont, la situation est parfois dramatique et les bergers lui sont particulièrement hostiles. Selon vous, l’histoire des milliers d’attaques de loups que l’on recense en France depuis le Moyen Âge illustre les lacunes et les faiblesses de l’État. Le loup, qui vit en meute, est un animal très intelligent et opportuniste, capable de déjouer les pièges et de contourner les obstacles. Sa survie dépend en grande partie de sa capacité à évaluer le rapport de force avec l’homme. Chaque fois que nous avons été divisés, il a gagné en audace. Que ce soit pendant les périodes de guerres civiles ou les divisions actuelles entre écologistes et éleveurs, État et collectivités locales, l’animal sait parfaitement profiter des failles du système et jouer sur les « frontières », qu’elles soient géographiques, administratives ou idéologiques.
Certains affirment que l’ADN du loup le pousse instinctivement à pratiquer le « surplus killing », c’est-à-dire à tuer pour le plaisir et non seulement pour se nourrir. Bien qu’il soit faux de dire que le loup prend plaisir à tuer, les éthologues ont démontré que son instinct d’attaque se réveille dès que des troupeaux s’affolent. Il est alors capable de mutiler ou tuer beaucoup plus de brebis que ce dont la meute a besoin pour se nourrir. Pendant longtemps, le loup a également été un prédateur d’humains, et pas seulement dans les contes pour enfants. Mon travail d’historien m’a permis de recenser environ 10 000 attaques de loups prédateurs entre 1580 et la moitié du XIXe siècle, ce qui est considérable et ne représente qu’une partie de l’iceberg, car tous les cas n’ont évidemment pas été documentés ou archivés.
Dans mon livre « La Mémoire des gens de la terre », je mentionne le cas d’une bergère enlevée et dévorée sur le plateau de Lannemezan en 1840. C’était il y a seulement quelques décennies. Depuis lors, la ruralité a beaucoup reculé. Peut-on imaginer que le loup puisse à nouveau passer à l’acte ? Il est raisonnable de penser que le risque est très faible. Aujourd’hui, nos enfants vont à l’école au lieu de garder le bétail comme autrefois, et les armes à feu ne sont plus aussi rares. L’homme a colonisé tous les espaces, il contrôle tous les territoires de refuge du loup, et le rapport de force a changé. Il n’est donc pas nécessaire de céder à l’inquiétude générale, mais il est également important de ne pas tomber dans le déni. Il faut se rappeler qu’au cours des années 1960, le loup tuait encore au Portugal et en Galice. Il n’est donc pas exclu qu’un jour il puisse attaquer une personne faible ou isolée. Autrefois, le loup effrayait les enfants, mais aujourd’hui ceux-ci, ainsi que leurs parents, ne le considèrent que comme une gentille peluche… Lorsque Perrault a écrit « Le Petit Chaperon Rouge » en 1697, la France connaissait un pic d’attaques d’enfants par les loups. Cette peur est restée viscérale jusqu’à la fin du XIXe siècle, d’autant plus que la presse n’a jamais cessé de cultiver cette peur en publiant des gravures terrifiantes. Les générations suivantes ont conservé le souvenir d’un loup dangereux, mais celles nées après 1950 ont rapidement oublié cette réalité, baignées qu’elles étaient dans l’imaginaire du Grand Nord américain à travers les romans.
Aujourd’hui, la pédagogie détruit l’image du méchant loup jusque dans la littérature pour enfants, le transformant en une caricature gentille à l’extrême. Cela n’a aucun sens. Le loup reste un loup, ni gentil ni méchant. Il est normal d’en avoir peur, mais cette peur doit être rationnelle. Vous décrivez l’homme et le loup comme des « ennemis nés il y a trente mille ans ». Si leur cohabitation n’a jamais été possible, comment pourrait-elle l’être aujourd’hui ? Vivre ensemble est une utopie, mais cohabiter ne l’est plus. Les éleveurs n’auront jamais de solution miracle contre le loup. Il y a un énorme fossé entre ceux qui légifèrent derrière un ordinateur en ville et ceux qui sont directement confrontés à l’animal. La gestion du loup exige un minimum d’intelligence sociale et une certaine empathie envers la société pastorale. Tout le monde a une opinion sur le loup, généralement très favorable, mais presque personne ne doit en subir les conséquences, contrairement aux éleveurs ou aux bergers. Cet animal fascinant est devenu l’emblème de la biodiversité, mais la biodiversité est aussi la présence de moutons qui paissent en montagne. Rien ne pourra changer tant que le loup bénéficiera d’une stricte protection en vertu de la convention de Berne et de la directive habitat, qui n’autorisent pas, par exemple, des tirs de riposte immédiats en cas d’attaque. Une gestion différenciée en fonction des territoires est nécessaire, et il est essentiel de cesser de prétendre que les enjeux sont les mêmes dans les vastes espaces dépeuplés que dans les régions d’élevage. Seriez-vous favorable à un redécoupage de la France en zones de protection et d’exclusion ? C’est ce que les géographes appellent territorialisation. Je suis d’accord avec l’établissement de zones d
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