Scandale glyphosate : la mainmise des lobbys sur la « science réglementaire »

Philippe DONNART


Le long épisode de l’autorisation du glyphosate met en évidence l’influence prédominante du lobbying à Bruxelles, alors que la controverse entoure cette molécule largement utilisée par les industriels de l’agrochimie.

Les États membres de l’Union européenne repoussent la décision sur la prolongation du glyphosate

Les États membres de l’Union européenne ont reporté leur décision sur la prolongation du glyphosate, un herbicide controversé, lors d’une réunion à Bruxelles le 13 octobre. La décision a été repoussée à mi-novembre en raison de divergences entre les États membres. Cette situation met en évidence l’influence du lobbying au sein des institutions européennes ainsi que la controverse scientifique entourant les effets sanitaires de cette molécule largement utilisée dans l’agriculture.

Pour en savoir plus sur cette question, nous avons interviewé Sylvain Laurens, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et chercheur au Centre Maurice Halbwachs (ENS/CNRS/EHESS). En tant qu’expert des logiques d’influence à Bruxelles et des mécanismes de désinformation scientifique, M. Laurens a une compréhension approfondie de cette situation.

Depuis la prolongation du glyphosate en 2017, la question a attiré davantage l’attention du public, ce qui a entraîné une évolution des positions officielles des gouvernements. La France et l’Allemagne, par exemple, ont exprimé des réserves sur le dossier. Cependant, les États ne disposent toujours pas d’une stratégie de sortie claire pour les agriculteurs, ce qui crée un statu quo dans la filière agricole. Les enjeux économiques liés au glyphosate sont importants, car il est considéré comme la clé de voûte du système agrochimique.

En plus des préoccupations liées au cancer, les scientifiques se sont penchés sur les divers effets possibles du glyphosate sur l’organisme. Une décision de justice récente a suggéré un lien entre l’exposition au glyphosate pendant la grossesse et la survenue de malformations chez l’enfant, ce qui a élargi le débat scientifique. Il est maintenant clair que les chaînes de causalité sont mieux comprises qu’en 2017, ce qui crée un coût social plus élevé pour la prolongation du produit.

La situation actuelle est similaire à d’autres controverses scientifiques où les intérêts industriels entrent en conflit avec la science. On peut la comparer à l’affaire de l’amiante, où il a fallu plusieurs années entre la prise de conscience du danger et l’abandon du matériau. Dans le cas du glyphosate, les industriels prétendent parler au nom de la science, mais ils cherchent en réalité à maintenir leurs produits sur le marché sans remettre en cause l’organisation de la filière économique.

La procédure qui a conduit à la demande de prolongation du glyphosate implique différents acteurs politiques et réglementaires. Les fabricants de pesticides qui financent les groupes de lobbying, tels que Bayer et Syngenta, ont regroupé des études favorables à leur produit pour justifier la demande de renouvellement du glyphosate. Ces études ont été soumises à la lecture et à la synthèse d’un État membre, mais la décision a été retardée en raison de la complexité du sujet.

En fin de compte, la décision sur la prolongation du glyphosate dépendra des négociations entre les États membres et de leur volonté de remettre en question le modèle agricole dominant. Il est essentiel d’évaluer attentivement les preuves scientifiques et de garantir que les décisions prises soient basées sur l’intérêt public et la santé des citoyens.